#hadopi : expliquons aux désemparés : La technologie est un écosystème

Le Parlement Européen encore une fois vient de ventiler façon puzzle le parefeu openoffice de la Ministre de la Culture ! Anéfé, avec 407 voix pour, 57 contre, et 171 abtentions, l’amendement Bono vient d’être revoté, sous sa forme originelle, donc s’imposant aux Etats membres. Bien sûr, évidemment, ce n’est pas fini, ça va repasser au Conseil, on évoque déjà l’entêtement plus que probable du président français et de son gouvernement, prêt à repousser plusieurs mois le Paquet Telecom, une nouvelle fois, juste pour ce seul article mettant l’Hadopi à terre, hors cadre légal européen autorisé…

Il est temps à ce point de la saga Hadopi, de prendre un peu de recul, proposer à ses acharnés partisans des éléments qui leur permettent enfin de comprendre.

– Car, s’il faut rendre grâce à ses têtus producteurs sur un point : cette saga est bien meilleure que la saga DADVSI, les ressorts dramatiques, les trucages et effets spéciaux, les effets de bord, juridiques, européens, médiatiques, d’une intensité et d’un suspense suscitant un débat bien plus large ; on ne peut s’empêcher, en fin de compte, d’être touchés et émus par leur incompréhension si profonde, leur désarroi si ravageur -.

Permettre à ces désemparés de comprendre, c’est à ce travail de fond que s’attelle Fabrice Epelboin, qui continue sur owni le travail entamé sur fr.readwriteweb, publiant aujourd’hui un très bel et long essai d’explication à l’usage de ces élites paniquées, politiques, industriels et artistes arc-boutés sur des positions vouées à l’échec et à la ruine : « La technologie est un écosystème, respectons la » .

wordcloud personnalisé La technologie est un écosystème

Il propose un bilan d’étape, retraçant pourquoi le combat des arguments techniques, juridiques, maintenant largement médiatisé, est perdu pour les tenants de cette loi. Ne reste, dit-il, qu’une rage, j’irais jusqu’à dire une folie se dévorant elle-même dans la défense désespérée, aigrie, de positions qui se croyaient acquises.
« Cette rage, nous dit Epelboin, est liée à deux choses : la peur du changement et l’ignorance de ce à quoi ils font face » : qu’internet, le monde numérique est un écosystème au sein duquel technologies et usages sont intrinsèquement liés, interdépendants, se nourrissant les uns des autres. Que la production, l’échange, l’incessante création modification et recréation contributives d’oeuvres et documents, et leur dissémination libre au sein de cet écosystème, sont un trait constituant de la culture, désormais.
« Sans être encore un moteur essentiel de la culture du XXIe siècle, cette dynamique culturelle est en place, et ne peut s’arrêter d’une façon où d’une autre. Elle peut, au pire, devenir clandestine. Le temps pour elle de tout renverser par une rupture violente dont nos sociétés raffolent. »

Il faut aller au delà des argumentations techniques, des explications simples de tel ou tel point : il faut faire comprendre « LA technologie ». Que c’est un écosystème, que l’on ne peut intervenir dessus sans en respecter les règles : « Si une contrainte est posée dans un écosystème, celui-ci réagit et s’y adapte », pose Epelboin : c’est à peu de nuances près la même chose qu’exprimait John Gilmore, co-fondateur de l’Electronic Frontier Foundation, en 1993 : « L’Internet interprète la censure comme un dommage et la contourne » (« The Net interprets censorship as damage and routes around it »). Ceci est une constante constitutive du net, qu’aucune tentative de contrarier, fût-elle massive et violente, ne parviendra à réduire.
Gilmore commente aujourd’hui sa fameuse formule, dont le sens et la réception ont évolué au fil des années : « Si vous considérez maintenant que le Net est composé non pas seulement de cables et de machines, mais aussi des personnes et des structures sociales qui utilisent ces machines, (cette phrase) est plus vraie que jamais » (« the people and their social structures who use the machines » : on a envie de traduire social structures par réseaux sociaux, mais c’est plus large).

Il faut expliquer cela à Pierre Arditi, à Juliette Gréco (que si Héraclite, qu’ils citent dans leur cri de désarroi, nous enseigne : « le Peuple doit combattre pour ses lois comme pour ses murailles », il nous transmit aussi que « Les hommes éveillés habitent le même monde », ce monde étant ce qu’il est selon son évolution, il nous incombe de rester éveillés, il incombe au peuple d’exercer sa conscience et sa lucidité pour ne pas se tromper de combat, et défendre des lois caduques ou charger contre des moulins à vent),
il faut expliquer à Jean-Claude Carrière (perdu lui aussi, Francis Lalanne et Joseph Paris pourtant lui expliquaient fort clairement hier soir, que « le libre accès à la connaissance et à la culture » est une donnée de fait et un bien de haute nécessité, que « l’oeuvre a une valeur, mais elle n’a pas forcémment la valeur que la société de consommation décide qu’elle a »),
il faut expliquer à Alain Finkelkraut (ébahi de découvrir que des règles existent et sont appliquées dans cet internet qu’il croyait une jungle sans rémission, une poubelle, au point qu’il ne va plus discuter dans les cafés, de crainte qu’on le filme avec un mobile et de retrouver sans pouvoir rien y faire la video sur cet internet poubelle, fou, barbare), il faut leur expliquer tout cela.

On ne combat pas l’océan, on ne combat pas la vitesse de la lumière, on ne parvient pas, armé de sa seule peur et ses crispations, on travaille à créer et aménager les conditions d’une vie bonne, et d’un partage, attentif à ce qui vient : « Coupez l’alimentation en énergie d’une machine, et elle cessera de fonctionner. Coupez le lit d’une rivière, vous observerez quelque chose de radicalement différent. » Peut-être, sûrement, que l’homme est capable d’évoluer, de s’adapter… Comprendre le monde qu’il habite peut l’y aider.

Bonus, suggestion de lecture :
Un roman manifeste cela à plusieurs titres, Le fantôme de l’Internet, par Pangloss : c’est une enquête fantastique à la poursuite du fantôme qui hante l’ordinateur de la ministre de la loi Création sur Internet, le chapitre final s’intitule « tsunami sur Hadopi » ; il est publié sur InLibroVeritas, sous licence de libre diffusion CC by-nc-nd : vous pouvez le découvrir, le copier, le disséminer, le partager en toute liberté.

10 réflexions sur « #hadopi : expliquons aux désemparés : La technologie est un écosystème »

  1. Bonjour, j’ai parfois du mal à suivre tous vos écrits. C’est long, trop long pour moi.
    Cependant, j’ai cru comprendre que ces lois dont on parle :’ HADOPI  »  » LOPSI  » sont pleines de changements et qu’il convient de les d’analyser. Peut-être ceci explique-t-il cela. . .
    A ce jour, je suis obligé de parcourir le net pour comprendre les tenants et les aboutissants de ces nouvelles lois.
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    Ce que j’en retiens pour l’instant c’est :

    1) une guerre « politico-commerciale » e se déroule entre les fournisseurs de contenu ( musique, film, écrits, etc …) et les fournisseurs de contenants ( les fournisseurs d’accès à internet et de tel. mobile ).

    2) Les objectifs/enjeux sont pour eux la maitrise -a) de l’information sur internet et/ou -b) des revenus qui en découlent.

    3) L’état tente d’en profiter au même titre que les industries des médias ou du divertissement.

    4) Tout cela finalement au détriment des citoyens .

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    Cela se traduit par :
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    1) des droits supplémentaires pour ces industries et le gouvernement :
    droit d’espionnage, droit de passage sur internet , droit de censure, droit de répression.
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    2) des droits en moins pour moi : pas le droit d’avoir un blog et de m’exprimer comme bon me semble derrière un pseudo à cause du délit d’usurpation d’identité , pas le droit de connaitre les censures opérés par le gouvernement qui traitera en direct avec les F.A.I , pas le droit de me défendre si je suis condamné par l’HADOPI .

    Ai-je bien compris ? Si oui, tout cela commence sérieusement à me radicaliser ! Heureusement que ma nounou m’a gavé d’amour quand j’étais plus petit ! Est-ce qu’une personne bien intentionnée pourrait me donner un lien ou je pourrais m’y retrouver succinctement ? Je n’aimerais pas devenir hors la loi à l’encontre de mon plein gré. Je décroche vite quand il y a successions de longues phrases.

    Par avance, merci – Vincent

  2. Quelle belle aubaine que tout ce battage ministériel, en effet en défendant un modèle dépassé, ces ânes on assuré une promotion inespérée pour les alternatives que représentent les licences libres . . .La SACEM se voit saignée par le glaive sensé la préserver !

  3. La loi HADOPI n’a pas passé mais ils reviennent par la petite porte avec la loi LOPPSI (Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure). C’est plus ou moins la même chose car qui dit cybercriminalité veut aussi dire des téléchargement illégaux …

    C’est comme il y’a un peu plus de dix ans quand le prélèvement d’ADN à été autorisé « que pour des délinquants sexuels » mais entre temps c’était élargis aussi sur la petite délinquance…Ca se passera pareil pour cette loi…dans le temps tout le monde aura un cheval de Troie de surveillance dans son PC…

  4. merci de tes explications l’ami bituur

    c’est surtout en fait l’usage de ce truc très à la mode là d’écosystème.
    qui suppose qu’il y ait un ordre quelque part, qui attende d’être découvert. Une espèce de naturalisation de cosmologisation (au sens y compris cosmétique) de quelque chose qui pour le moment s’avère être à mon avis un remarquable chaos 🙂
    un voeu pieux en somme
    je préfère partir de l’idée de la pluralité des désirs et des pratiques.. Un truc beaucoup plus prosaïque tu vois. Même si je suis le premier à m’intéresser aux auto-régulations spontannées ou réfléchies (et à penser qu’il vaudrait mieux partir de là)

    Je vais peut-être choquer, mais cette idée là tellement chouette comme quoi internet serait (? de fait ? par essence ? par nature ?) « un lieu de libre accès à la connaissance et à la culture », j’y crois pas une seconde
    je crois pas qu’internet soit quoi que ce soit par nature ou par essence
    je ne sais pas ce qu’il ne adviendra pour le futur, mais quant au présent, il me semble que le net peut-être aussi bien décrit comme un lieu d’échange et de culture, que comme « une succursale d’hypermarché ou de TF1 », « un réseau d’espionnage de la vie privée par les puissances de contrôles », « un champ de bataille pour les pensées » etc..
    et que tout cela est vrai

    donc, du point de vue de la méthode.. la méthode afin d’agir et de militer et de transformer par la pensée et les actes.. je crois qu’il est toujours dommage de se fonder sur un idéal en prétendant que cet idéal est la nature de la chose qu’on veut transformer. (c’est quand même un stratagème de l’idéologie ça)

    qu’il vaudrait mieux accepter qu’il n’y ait pas de nature ou de vocation spécifique d’internet, mais plutôt une lutte pour en faire ce que nous pensons raisonnable et souhaitable. Lutte parce que d’autres ont d’autres projets concernant le net.. (c’est là ma position, pragmatique et libérale.. et je sais bien que ça n’a pas bonne presse par les temps qui courrent, et bon.. je fais avec)

  5. dana,

    bien d’accord avec toi sur l’usage de la citation d’Héraclite, c’est justement pour montrer la relative inanité de l’invoquer d’une seule phrase en soutien de leur cause que je leur renvoie une autre du même, pour recontextualiser un peu : car enfin ils nous donnent là une image d’épinal et de propagande d’Héraclite travesti en Ste Geneviève défendant les murailles contre les huns, c’est grotesque…

    quand j’écris : « une donnée de fait et un bien de haute nécessité » :
    donnée de fait : j’ai simplement voulu dire que c’est ce que l’on observe, que l’immense majorité des gens désirent avoir cette liberté d’accès et la considèrent importante, que non seulement ils profitent mais partagent et veulent donner aussi cette liberté d’accès, par tous les moyens à leur portée ; qu’en plus les moyens que propose internet et le numérique sont là, et que leur usage est massif lui aussi.
    sachant bien sûr, que si c’est un fait, observable, « il ne s’agit pas de s’incliner devant le fait, mais de ne pas nier la réalité » (citation que je fais souvent d’une communication de Michel Vivant, juriste, en 2003, sur la position à tenir devant ce p2p et ces échanges massifs honnis et abhorrés par les majors, hollywood, et leurs alliés)

    bien de haute nécessité : c’est un écho, une citation de l’appel des neufs intellectuel antillais dont Chamoiseau, Glissant etc., au début de cette année, en soutien au lkp. ils désignent par là, à côté des biens de première nécessité, nécessaires à la subsistance, les biens plus « hauts », comme la culture ou l’art, nécessaires à l’existence, ou à la « consistance » (moi qui utilise ce mot, pas eux – je mettrai l’url de leur appel au cas où)

    quant à : une fois posé ça on fait quoi ? ça ne résout rien tout commence. ok. essayer de dire les choses ou les qualifier ne fait guère que ça, et là comme tu dis les problèmes commencent. mais pour essayer d’aborder la complexité, il faut bien essayer de la dire, pour la comprendre autant que possible.

  6. C’est marrant que nos hadopiens de gauche citent Héraclite. Si l’on en croit les grecs qui commentent Héraclite, Celui-ci aurait été plutôt celui qui s’efforçait de dénoncer la permanence des choses, des institutions, des idées, de les révéler comme illusion : seul le devenir est, rien de demeure en son état, tout se transforme sans cesse ici-bas. On fait dire ce qu’on veut à ces fragments d’Héraclite, et je me sens plus porté à croire ce qu’en disaient les grecs et ses contemporains que nos hadopiens de gauche.

    Sinon j’ai toujours un peu de mal avec ce recours à l’écosystème.. C’est un très joli mot qui signifie en gros qu’un groupe procède nécessairement, tant qu’il se maintient, à des auto-régulations, des auto-ajustements, etc. Ce qui me fait un peu l’effet d’une tarte à la crème. je veux dire, c’est très joli vu d’en haut, mais vu d’en bas, c’est le chaos, la controverse, le déréglement des sens 😉

    ça donne des phrases comme :
    “le libre accès à la connaissance et à la culture” est une donnée de fait et un bien de haute nécessité
    genre de phrase que je ne comprends pas
    une donnée de fait ? heu.. ben ça dépend pour qui quand même.. et un bien de haute nécessité, ben ça c’est un voeu chouette, mais si on le prend au sérieux, on fait quoi ? (par exemple : une contribution créative, une impôt que tous les citoyens devront verser aux créateurs pour les remercier d’être ce qu’ils sont ?)
    je veux dire, avec ce genre de phrase, les problèmes ne sont pas résolus, mais ils commencent..

    Ne pourrait-on pas se contenter sobrement de dire : les choses sont plus complexes qu’on ne le croit généralement, il faudrait se pencher avec plus d’attention sur cette complexitté avant d’entreprendre quoi que ce soit, avant même de se donnner une idée transcendante de ce qui serait le bien pour « les artistes » ou pour « l’humanité », et en attendant d’y voir plus clair, c’est-à-dire en gros, de faire des choix politiques, de décider, bon ben maintenant voilà ce que nous politiques nous entendons sous les termes internet ou artistes ou humanité, on devrait peut-être ne rien faire.

    le futur.. bon.. on est quelques uns à avoir une idée plus ou moins vague de ce que sera le futur, ou de ce que serait un futur souhaitable. Mais ce serait bien, avant de nous précipiter sur notre idée plus ou moins vague du futur, de laisser une chance au chaos.

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