Résumons sous un titre non pas violent mais simplement éloquent la nouvelle attaque des marchands à front de taureau contre la culture : le site IMSLP International Music Score Library Project qui propose plusieurs milliers de partitions du domaine public selon la loi canadienne moins restrictive que les lois européennes (50 ans après le décès du compositeur) a reçu des lettres de menace d’Universal Edition. Or on peut les télécharger depuis d’autres pays (cela s’appelle internet) et donc, le site est fermé.
Quelle grande victoire pour la culture, heureusement ainsi protégée, quelle grande victoire pour Universal Edition, « universel protecteur des arts ». Pouahh…
L’habituel choeur des vierges effarouchées, petites mains sans vergogne du flouze caïd mondial se récrieront « – mais comment, c’est normal, il faut bien rémunérer gna gna gna… » Taratata, il s’agit ici d’oeuvres du domaine public, plus guère rentables de l’aveu même de ceux qui détiennent les droits (lire infra), et ne veulent se fatiguer à rééditer, mais ne sauraient tolérer qu’accès soit offert sans graisser leurs fainéantes pattes.
Cela rappelle la pertinence de l’initiative eldred.cc, lancée par des défenseurs du domaine public, des biens communs, de la culture, dans les années 2002-2003 : il s’agissait – il s’agit toujours – de « sauver les oeuvres orphelines », c’est-à-dire, les oeuvres dont les ayant-droits n’ont plus que faire, se foutent, en fait, car ça ne paye plus.
Or donc, argumentaient Eric Eldred et ses compagnons, instaurons un processus simple : quand une oeuvre tombe ou va tomber dans le domaine public, si l’ayant-droit le juge de son intérêt, qu’il paye donc 1 dollar – oui : 1 dollar – pour prolonger la durée de ses droits. Sinon, preuve étant administrée par l’ayant-droit lui-même que l’oeuvre désormais lui indiffère, qu’elle soit versée au domaine public, pour que les amoureux de cette oeuvre puissent continuer à lui donner le soin qu’elle mérite, et qu’eux savent bien lui donner.
Mais non. L’affaire ne fut pas gagnée. Contexte Sonny Bono Act, les gros sous de Mickey, j’en passe, etc. On connaît la chanson.
Et voici donc le nouveau cas (merci à Xorios qui nous relaie ce message de chris28 sur Framagora) :
« IMSLP International Music Score Library Project qui propose plusieurs milliers de partitions du domaine public selon la loi canadienne moins restrictive que les lois européennes (50 ans après le décès du compositeur) a reçu des lettres de menace d’Universal Edition. Les partitions proposées étant téléchargeables à partir de pays où elles sont encore protégées. UE demande un filtrage des adresses IP ou la fermeture du site. Malgré le soutien des nombreux utilisateurs (universitaires, compositeurs, simple musiciens …) le site est actuellement fermé. Des propositions de reprise sont lancées notamment par le parti pirate suédois en espérant que toute la richesse d’IMSLPF puisse survivre.
Il est d’autant plus rageant que certains éditeurs possédant les droits sur des oeuvres ne les publient pas ou alors à des prix exorbitants. Un ami mexicain me racontait que beaucoup des superbes pièces pour piano de Manuel Ponce étaient introuvables car l’éditeur américain possédant les droits ne trouvait pas assez rentable de les publier. Appréciant beaucoup la musique de Louis Vierne (1870-1937), j’ai essayé de me procurer ses Préludes, Nocturnes et Solitude pour Piano mais ce n’est vraiment pas évident, il faut s’adresser directement à l’éditeur : les partitions sont parfois épuisées ou tout simplement introuvables en France (comme les Préludes). Finalement j’ai pu télécharger toutes ses oeuvres sur la page consacrée à Louis Vierne sur IMSLPF avant sa fermeture. Un projet comme IMSLPF doit être soutenu, il s’agit de protection du patrimoine musical mondial. Qui jouera du Vierne ou du Ponce si leurs oeuvres ne sont plus publiées ?
Forum d’IMSLPF : http://imslpforums.org/viewforum.php?f=1 »
Edit 24.0ct. : cicelle (comment. #7) apporte une précision : aucun lien direct entre Universal Edition A.G., l’édteur en question, et Vivendi Universal. Universal Edition n’est pas un département de VU. les relations existent cependant, par ex. Ricordi, le partenaire italien de UE A.G., est propriété de VU. mais bon : dont acte.
Cicelle, je me suis mal exprimé. Je n’en avais pas contre vous, je voulais juste dire un mot sur cet argument qu’on entend trop souvent à mon goût : celui de la perte des emplois.
Pour ce qui est du monde que vous décrivez, les petits labels etc. je pense avoir été assez bien placé dans ce monde là et y avoir fait largement mes preuves, mais passons.
Cicelle : « C’est moins simple, plus long mais bien plus motivant… » : oh que oui ! tout à fait d’accord sur ce point. c’est bien pour cela que l’essentiel de notre temps est consacré à faire vivre le site, les projets comme pragmazic, le fond de soutien qui doit être abondé par un % des ventes sur pragmazic et animé par l’association pour aider, créer, participer à des initiatives tels que conerts ou festivals, ou réalisation de moyens de production, pressage ou autres, mutualisés entre les labels et musiciens partie prenante (quelques pistes de ce que nous voudrions voir avancer pour mettre en place les solutions autres que tu évoques), ou encore automazic.
quant aux mammouths, boh, on ne va effectivement pas leur jeter des pierres comme ça, sans raison, mais cela n’empêche de signaler leurs errements, et prendre parti pour ceux qui comme IMSLP se prennent des coups de vieilles défenses secouées par les spasmes de l’agonie…
Par loi mal adaptée , je ne suggérai pas de repousser la durée de protection pour protéger des emplois (quel raccourci vous faites, dites donc !), je signifai uniquement « mal adapté à la réalité du marché » car c’est effectivement un marché désormais sans frontières à l’ère du net.
Vous prêchez une convertie de la musique libre et mon intervention visait simplement à éviter les amalgames trop aisés et dangereux entre des acteurs du monde de la musique qui sont tous différents par leur rôle, poids et enjeux économiques.
Ce que vous décrivez, l’univers des actionnaires aux gros cigares, appartient aux 5 majors qui produisent les 80 % de phonogrammes commercialisés dans la grande distrib. Avec une chute de leur marché phonographique de 10% par an, ils sont les premiers à savoir que leurs jours sont comptés.
En attendant, il y a la majorité de tous les autres (5000 petits labels en France, des centaines de petits éditeurs, des agents artistiques, des graveurs, des imprimeurs, des distributeurs indépendants qui aiment ce métier et ne se foutent pas des artistes) qui réfléchissent en collaboration avec des musiciens, des créateurs pour mettre en place d’autres solutions avec une rémunération équitable pour les musiciens tout d’abord et ceux qui permettent à leur musique d’être gravée, pressé ou éditée et distribuée.
C’est moins simple, plus long mais bien plus motivant que de jeter les pierres sur des mammouths en voie d’extinction.
Cela dit vous écrivez :
« On peut comprendre que cet éditeur cherche à s’appuyer sur la loi (même si celle-ci n’est plus adaptée, je vous l’accorde) pour protéger son catalogue sur un marché effectivement en plein effondrement »
et
« mais c’est pas chose évidente de réunir les fonds nécessaires quand ils se battent tous les matins pour sauvegarder leurs emplois. »
je me demande toujours ce que signifie une « loi mal adaptée ». En l’occurrence, la dite loi, qui repousse la chute (?) dans le domaine public à 70 ans après la mort de l’auteur (je simplifie) est tout à fait adaptée aux intérêts des éditeurs et des ayants droits etc. Cette durée n’a cessé d’augmenter sous la pression de gens comme Disney depuis des décennies.. Il s’agit bien de conserver la mainmise sur un pactole.
Il y a eu un précédent très intéressant concernant la mise ligne par l’excellent site « les classiques des sciences sociales » sis au Canada. Je conseille de lire la lettre de Jean-Marie Tremblay produite à l’époque suite à la plainte déposée par les PUF. À l’époque, en 2003, ça m’avait mis dans une colère noire cette affaire.
http://www.forget-me.net/actions/jmtremblay.php
Le problème c’est que la loi, une fois quelques polémiques passées, a tendance à devenir comme un élément « naturel » du paysage juridique. On oublie facilement qu’au départ, cette loi était en réalité le fruit d’un lobbying de sociétés privées et d’ayants droits. Et après on parle gentiment d’harmonisation juridique internationale en oubliant qu’au départ il s’agissait de satisfaire quelques privilégiés.
C’est pour ça que l’histoire des gens qui essaient de conserver leur emploi, ça me semble un argument très limité. Où nous ménerait un tel argument ? Les employés de Universal Edition AG ont peur de perdre leur emploi ? Il faudrait alors à ce compte-là repousser la tombée dans le domaine public à 90 ans après la mort de l’auteur ? Et vous imaginez le nombre de gens qui vont perdre leur emploi quand la petite souris Mickey (pour reprendre l’icone dont la préservation a justifié la dernière loi à ce sujet) tombera dans le domaine public ?
C’est comme dire : l’utilisation des licences ouvertes et la mise à disposition des oeuvres sur le net avec encouragement à la copie de la part des musiciens eux-mêmes, contribuent grandement à la faillite des disquaires indépendants. Je suis désolé pour les disquaires indépendants. je suis désolé pour Universal Editions AG et pour tous les gens qui perdront leur emploi parce que nous considérons que la musique devrait circuler plus librement, et sa jouissance ne pas être conditionnée par un paiement, un prix à payer.
Et aussi : tout un chacun (excepté quelques hyper riches qui vivent sur une autre planète) lutte pour conserver son emploi.
Enfin bon.. je crois que le recours à l’argument « les gens qui perdent leur emploi » constitue surtout un des artifices rhétoriques des sociétés qui veulent conserver leurs privilèges et leurs profits. Les salariés de l’industrie du disque, et tous les « intermédiaires », les actionnaires etc.. qui touchent un salaire ou une rente grâce à ce système forcément conservateur, se foutent bien, au fond, des auteurs et des artistes, sans lesquels paradoxalement ils n’existeraient pas.
cicelle dit : C’est un éditeur autrichien classique qui n’a que l’édition, en l’occurrence la vente de partitions, la location de partitions d’orchestre pour le concert et la vente des droits dérivés d’oeuvres classiques comme source de revenus.
c’est pas une raison!!! il change de taf …
merci cicelle pour cette correction indispensable
du coup, ça change tout.
(je peux effacer mes commentaires dîtes ?? me sens tout balot maintenant)
(Je m’étonne qu’Universal Publishing tolère que cette société là porte un nom qui soit si proche du sien.. mais bon.. doivent avoir leurs raisons..)
Juste une précision qui me paraît importante : Universal Edition A.G. n’a rien à voir de près ou de loin avec le gros Universal Publishing. C’est un éditeur autrichien classique qui n’a que l’édition, en l’occurrence la vente de partitions, la location de partitions d’orchestre pour le concert et la vente des droits dérivés d’oeuvres classiques comme source de revenus. On peut comprendre que cet éditeur cherche à s’appuyer sur la loi (même si celle-ci n’est plus adaptée, je vous l’accorde) pour protéger son catalogue sur un marché effectivement en plein effondrement. Les mannes financières dont vous parlez ne concernant que l’autre Universal qui s’est depuis longtemps débarassé de son catalogue classique et musique contemporain jugé peu rentable. Certains éditeurs classiques ont bien compris (sont pas neuneu quand même) l’importance de pouvoir offrir des partitions téléchargeables à un coût modéré pour les mélomanes mais c’est pas chose évidente de réunir les fonds nécessiares quand ils se battent tous les matins pour sauvegarder leurs emplois.
Et si un pays XYZ de moins d’un million d’habitant a pour législation que les droits ne durent pas 50 ou 70 ans mais 3000 ans après la disparition de l’auteur ? Le reste du monde ne pourra accèder sur la toile à des oeuvres tomber dans le domaine public suivant la législation de leur pays sous prétexte que quelques pékins du pays xyz ne sont pas content ? délirant. Appliquer des lois nationnales à internet … pfff
Le Président d’une association consacrée au tango, dans la région toute proche, a restauré lui-même des 78 tours d’oeuvres tombées largement dans le domaine public, pour les passer lors des réunions de son association. La Sachem lui a fait payer les mêmes droits que pour un CD tout récent, parce que l’auteur des arrangements ne s’est pas encore fait connaître à la Sachem et les droits sur les arrangements d’orchestres ne sont pas éteints.
Même attitude, on prolonge les droits à récolter des sous le plus longtemps possible en cherchant des tours de passe-passe juridiques face à quelqu’un qui n’a pas les moyens de se défendre, pour en faire un système admis par tous et qu’in ne remettra pas en cause, puisque ça va sans dire, ça s’est toujours passé comme ça, et quiconque ne serait pas d’accord est un pirate musical coupable d’affamer les auteurs démunis. Même quand les auteurs n’en ont plus rien à foutre: s’ils s’en foutent, ils sont complices, c’est la Sachem et Univers Sale qui légifèrent en France et leur législation a une valeur juridique beaucoup plus grande que celle du parlement, n’est-ce pas?
oui et pourtant le nom de Malher est cité dans le fameux mail envoyé par universal edition (au passage je me suis mal relu dans le post précédent ; ne cherchez pas un compositeur du nom de Barge, mais préférez Alban Berg 🙂 de berg à barge bon.. soit..)
voici d’ailleurs l’adresse où l’on peut télécharger une copie de cette brève lettre :
http://imslpforums.org/Second%20U-E%20Cease%20and%20Desist%20Letter.pdf
on y parle aussi de Léo Janacek (mort en 1928 ! ) entre autres..
Il s’agit surtout d’une manœuvre d’intimidation. Le responsable du site est un particulier (étudiant je crois) qui ne peut pas se lancer dans une bataille judiciaire. Je ne suis pas non plus certain du manque à gagner d’Universal Edition surtout pour Malher mort en 1911 et dont les oeuvres sont tombées dans le domaine public même en Europe 🙂 .
si on lit la lettre adressée par universal edition à l’IMSLPF, les compositeurs qui (leur) posent problèmes sont des gens comme Schöneberg, Barge, Bartok, Malher, etc. la loi canadienne considère que leurs partitions sont ombées dans le domaine public 50 ans après le décés de leurs auteurs, tandis qu’ailleurs, en Europe par exemple, c’est 70ans.
Je me demande quels sont les bénéfices en jeu ?
Les éditions Universal bénéficient sans doute des droits exclusifs sur ces partitions, lesquels droit ont du leur être remis par les ayants droits familiaux j’imagine. Quand un musicien joue une pièce pour piano de Bartok, que ça donne lieu à un enregistrement ou à un concert, j’imagine qu’il y a des droits à payer à Universal edition.
Quel marché est en jeu : l’édition et la publication des partitions ? C’est bien là ce qui semble agacer les plaignants : le site IMSLPF propose gratuitement des partitions, on n’a donc plus besoin d’acheter ces bouquins très onéreux ( les étudiants en musique et musicologie les moins fortunés doivent trouver ces ouvrages onéreux j’imagine).
Ce qui m’étonne : je ne pense pas que ce soit un marché très rentable l’édition de partition d’Alban Berg.. Compte tenu des sommes que brasse habituellement le consortium Universal, ça ne doit pas mettre en danger les comptes de l’entreprise 🙂
Bref : qu’en conclure ?
ESt-ce que les ayants droits familiaux que représente sans doute Universal Editions constatent un manque à gagner ? Ont envie de profiter des 20 ans qui leur restent à bénéficier de la manne que représente l’oeuvre de leurs chers disparus ?
(je me dis toujours, si ça se trouve l’arrière petite fille de Schönberg, elle écoute la Star Ac.. mais passons)
Ou alors est-ce que c’est juste pour faire chier ?? (ce qui ne serait pas étonnant par les temps qui courrent)
Attention, quand ils disent danger … Ils ne disent pas quel danger.
Pour moi, vu le ton qui est pris, c’est surtout un danger pour leur fonctionnement et donc pour leurs bénéfices 🙂