Depuis quelque jours, c’est l’effervescence dans le monde de la musique en ligne : le groupe « Petit Homme » aurait signé le premier accord avec la SACEM pour rester maître de sa diffusion sur internet.
Et ce serait le moyen pour ce groupe de diffuser via une licence ouverte : ce qu’il a fait sur Jamendo avec la licenceCreative commons by-nc-sa 2.5.
Mazette ! La SACEM serait donc compatible avec les licences ouvertes !
Alors, info ou pipeau ?
Prenons les choses dans l’ordre. La possibilité de se réserver les droits internet, n’est pas une nouveauté (n’en déplaise à certains) et je doute que le groupe en question soit pionnier en la matière, mais passons sur ce détail.
Pour comprendre, il faut se référer à l’article 34 des statuts de la SACEM.
Article 34
Nonobstant toute autre disposition des Statuts et du Règlement général, les règles suivantes sont applicables aux auteurs, auteurs-réalisateurs, compositeurs et éditeurs ainsi qu’à leurs ayants droit :
I – Admission à la société – Apport.
L’apport à la société, qui résulte de l’adhésion aux Statuts, peut être :
— Soit conforme aux dispositions des articles 1 et 2 ci-avant et s’appliquer en
conséquence à la fois au droit d’autoriser ou d’interdire en tous pays l’exécution publique et au droit d’autoriser ou d’interdire en tous pays la reproduction mécanique de toutes leurs oeuvres dès que créées ;
— Soit limité à l’une ou plusieurs des catégories de droits ci-après précisées ou à certains territoires pour l’une ou plusieurs de ces catégories de droits, lorsque la gestion de la ou des catégories de droits auxquelles ne s’applique pas l’apport est confiée pour tous pays à une ou plusieurs autres sociétés d’auteurs et lorsque les territoires non couverts par l’apport sont confiés à la gestion d’une ou plusieurs autres sociétés d’auteurs, étant précisé que les territoires de gestion directe de la société hors de l’Union Européenne ou de l’Espace Economique Européen où la société fait des investissements et où les difficultés de gestion rendent l’unité du répertoire indispensable
– tels que le Canada et le Liban – ne sauraient être dissociés de l’apport sauf accord de
la société.
Les catégories de droits sont les suivantes :
1° Le droit de représentation ou d’exécution publique général y compris le droit de représentation des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles ;
2° Le droit de radiodiffusion y compris le droit de retransmission simultanée et intégrale des programmes radiodiffusés par tous moyens de télécommunication et le droit de réception publique desdits programmes ;
3° Le droit de reproduction sur supports de sons y compris le droit d’usage public de ces supports licités pour l’usage privé ainsi que le droit d’exécution publique au moyen de ces supports ;
4° Le droit de reproduction sur supports de sons et d’images y compris le droit d’usage public de ces supports licités pour l’usage privé ainsi que le droit d’exécution publique au moyen de ces supports ;
5° Le droit de reproduction des oeuvres dans des films destinés à la projection dans les théâtres cinématographiques et pour lesquels ces oeuvres ont été spécialement écrites ;
6° Le droit de reproduction sur des oeuvres préexistantes pour la reproduction desdites oeuvres dans les films destinés à la projection dans les théâtres cinématographiques ;
7° Le droit de reproduction mécanique et le droit de représentation ou d’exécution publique pour l’exploitation des oeuvres dans le cadre de services interactifs fournis au moyen de réseaux électroniques avec ou sans fil utilisant les protocoles Internet (IP), WAP (SMS ou MMS notamment) ou autres protocoles similaires ;
8° Le droit de reproduction mécanique et le droit de représentation ou d’exécution publique pour l’exploitation des oeuvres dans le cadre de services non interactifs fournis au moyen de réseaux électroniques avec ou sans fils utilisant les protocoles Internet (IP), WAP (SMS ou MMS notamment) ou autres protocoles similaires ;
9° Les droits d’exploitation résultant du développement technique ou d’une modification de la législation dans l’avenir.
Cet article définit 9 catégories de droits et précise que l’on peut limiter à une ou à plusieurs catégories l’apport que l’on fait à la SACEM. C’est donc ce que fit le groupe en question en se réservant les catégories de droits 7 et 8.
Cette possibilité de se réserver les droits internet, Mr Petitgirard nous en avait déjà rebattu les yeux et les oreilles (deuxième table ronde : les nouvelles libertés du droit d’auteur), donnant l’image d’une société à l’écoute de ses jeunes pousses qui rêvent de succès mais aussi de liberté ! Haro sur les plate-formes musicales all over the world 2.0…
Toutes les plate-formes ? Même Jamendo, qui prétend aussi que cette compatibilité existe ?
Liberté liberté chérie… un bel argument pour attirer les nouveaux arrivants dans cet Eldorado numérico-musical déjà bien encombré d’intermédiaires de tous poils promettant monts et merveilles. Mais qu’en est-il de la liberté accordée à ceux qui téléchargent ? Car c’est bien ce dont s’occupent les licences ouvertes comme les Creative Commons. Ce « droit internet réservé » est-il soluble dans la licence CC… ou inversement ?
La réponse est NON, bien sûr.
Pour s’en convaincre, il suffit de reprendre une à une les catégories de droits qui restent gérées par la SACEM. Sont-elles compatibles avec les droits accordés par une licence libre même la plus restrictive comme la CC by-nc-nd …? Je vous laisse jouer chez vous à la maison : imaginez la diffusion de l’œuvre téléchargée dans différentes circonstances : fête de l’école où les enfants vont reprendre à tue-tête le titre phare de notre « groupe pionnier » (bien sûr cela vous rappelle quelque chose…), la diffusion sur les baffles de la bodega des 20 ans pendant les fêtes du village, une compilation produite par un netlabel fan de notre groupe, … et confrontez-la à ces 9 autres catégories de droits (nb : le point 5 ne nous concerne pas).
Résultat : si vous arrivez à la même conclusion que moi vous pouvez éliminer toutes les catégories restantes.
Autrement dit, il faudrait se réserver tous les autres droits et dans ce cas l’inscription à la SACEM serait comment dire…. nulle et non avenue, à moins que ce soit le choix d’une licence libre qui le soit ! Cela dit, c’est parfaitement cohérent avec l’opposition de la SACEM aux licences ouvertes, et aux dernières nouvelles cette position n’a pas changé (voir en bas de page le paragraphe intitulé : Partie relative à la SACEM – Informations relues par la SACEM, octobre 2005-).
En résumé : choisissez votre camp, camarades !
Voilà ! Tout ce bruit pour rien, ou presque … de la publicité à peu de frais pour les différents protagonistes de cette affaire : notre petit groupe, la gentille SACEM et la consensuelle plate-forme de téléchargement Jamendo.
Ok, donc on est d’accord : pas de compatibilité avec les licences ouvertes pour les adhérents de la SACEM même si elle leur accorde un brin de liberté en les autorisant à gérer leur droits sur internet.
Mais, qu’en est-il des droits accordés aux braves gens qui téléchargent les titres en « droits internet réservés »… sans licence ?
Si vous reprenez les catégories de droits conservées par la SACEM, vous vous rendrez bien vite compte que hormis la copie privée, il ne reste pas grand chose. En effet, certains usages non commerciaux sont soumis à rémunération. Et c’est là LA grande différence avec les licences ouvertes.
Et même la diffusion en podcast sur un quelconque site, perso ou pas avec ou sans pub est soumis à l’autorisation préalable du groupe, qui devra rédiger une licence sur mesure : bon courage les gars !
Dernier point, la lecture des commentaires sur l’annonce de cette avancée révolutionnaire sur le blog de PhilAxel est pour le moins édifiante. On a la sensation que l’on veut forcer la main à la SACEM, peu importe le flou juridique et l’absence d’information donnée aux utilisateurs. Les auteurs et les intermédiaires de la musique qui s’y expriment font peu de cas des droits de ces utilisateurs et interprètent les clauses des licences Creative Commons, au gré de leurs intérêts personnels des plus subjectifs.
Or, il y a déjà des cas de réclamations à des sites réels ou virtuels qui pensaient diffuser de la musique libre et qui se sont vus taxés au forfait car un artiste de la liste faisait partie du répertoire d’une société de gestion collective des droits.
Apparemment cela ne pose aucun problème de conscience à ces « révolutionnaires » … eux ne seront jamais inquiétés. Au contraire, ils seront chouchoutés par la SACEM qui (malgré un discours parfois inverse, de type « les auteurs du dimanche »… on n’en est pas à une contradiction près) aura besoin dans le monde concurrentiel dans lequel elle entre, d’affirmer sa suprématie par le nombre de ses adhérents : « voyez combien ils sont nombreux ! »
Rappelons juste que lors d’une intervention pas si ancienne, Mme Kerr Vignale (Direction des Relations Clientèles de la SACEM) a qualifié les licences Creatives Commons de « dangereuses. »
Ici, nous ne cesserons donc pas de répéter encore et encore : tant que la SACEM ne modifie pas sa volonté et donc ses statuts, la compatibilité avec les licences ouvertes, même les plus restrictives, n’existera pas !
Nous ne cherchons pas à forcer la main de la SACEM dans ce sens, en tous cas pas au détriment des utilisateurs. Néanmoins nous apprécierions grandement que l’information donnée par la SACEM à ses membres soit bien plus claire et argumentée, quelque soit le choix des auteurs pour la gestion de leurs droits internet.