Quand bien même l’actualité du piratage et de sa répression ne nous concerne pas directement du côté de l’association Musique Libre! (Dogmazic), nous gardons un œil sur cette actualité.
Ceux qui ont suivi cette actualité en France ont forcément entendu parler de la Mission Olivennes. Pour les autres, un petit rappel: Nicolas Sarkozy mandate la ministre de la culture, Christine Albanel, pour trouver les moyens de lutter contre le piratage et la ruine de l’industrie culturelle. Suite à quoi, Chritine Albanel mandate Denis Olivennes, le patron de la FNAC, pour pondre un rapport et chapeauter un accord industriel.
On peut s’interroger sur la pertinence du choix de Denis Olivennes… sans doute très compétent, mais tout de même plongé jusqu’au cou dans ces problématiques. En général, quand on veut trouver des solutions globales, on essaie de prendre quelqu’un d’un peu neutre, qui pourrait avoir un peu de recul. Un Jacques Attali, par exemple (mais il était déjà pris, et sur la question de la transition numérique de l’industrie culturelle il est sans doute trop iconoclaste).
Bon, et qui participe à cet accord?
Bref, c’est donc Denis Olivennes qui mène la danse, et cette semaine a eu lieu ce fameux accord professionnel entre l’État, les industriels de la culture, et les fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Si vous faites le compte, il manque:
- les consommateurs (pas d’associations de consommateurs impliquées…);
- les «diffuseurs du web» ou «hébergeurs 2.0» tels que Google/Youtube, Dailymotion, etc. (c’est Ratiatum qui le fait remarquer).
Pourquoi ça, exactement?
Les premiers sont considérés comme coupables à réprimer et à canaliser vers une offre légale, donc on ne va pas les solliciter tout de même!
Quant aux deuxièmes, on leur a sans doute demandé leur avis, mais ils ont préféré rester loin de cet accord. En effet, la Loi de Confiance dans l’Économie Numérique (LCÉN) les sécurise déjà plutôt bien en les dégageant de la responsabilité qu’aurait un éditeur de site web. En gros: tant qu’ils filtrent a posteriori les contenus litigieux, et ne mettent pas en avant ces contenus litigieux, ils sont plutôt dans le vert.
Leur situation n’est pas tout à fait confortable, la jurisprudence n’est pas encore bien établie, mais cette situation est largement préférable pour eux à la signature d’un accord professionnel qui dirait «oui oui, nous sommes responsables au même titre qu’un éditeur de site web, et nous allons mettre en place des techniques de filtrage infaillibles». Faudrait vraiment pas être malin pour signer. 🙂
Un accord inapplicable?
Dans cet accord, on trouve quelques petits trucs qui trainent pas bien passionnants. Les industriels de la culture s’engagent à peut-être abandonner les DRM, ce qu’ils peut-être-font depuis le début de l’année déjà. Ça s’appelle de l’enfonçage de portes ouvertes.
La grosse partie de l’accord concerne la répression du piratage. L’État s’engage à mettre en place la riposte graduée, avec l’aide des FAI. Pour cela, il faut mettre en place une usine à gaz, qui doit d’abord être validée législativement (ça peut se faire, mais ça ne se fera pas en quelques semaines…) et qui surtout demandera à être financée. Vu qu’il s’agit de mettre en place une Autorité Administrative Indépendante, je vois mal les industriels de la culture financer cette institution. Seul l’état peut le faire, et là ça va être drôle.
Il y a aussi la question du «qu’est-ce qui va tomber sur la tête des internautes pris la main dans le sac?». Ça n’est pas encore bien défini, et si un jour cette autorité administrative indépendante voit le jour on verra ce que cela donne en vrai. Mais l’accord ne prévoit apparemment qu’une procédure de désactivation de la connexion à Internet[1]…
Calamo, auteur du blog juridique Post-Scriptum, est d’avis que les téléchargeurs peuvent dormir sur leurs deux oreilles[2] (je vous incite à lire son article très détaillé, que j’ai largement pompé pour ce billet ;)). On verra bien ce qu’il en est d’ici quelques mois/années, mais il semblerait effectivement que les craintes de l’UFC sont à relativiser.
Pendant ce temps-là, les questions du développement de l’offre légale, de l’éducation des utilisateurs, de la rémunération équitable des auteurs… sont complètement en suspens, voire ignorées ou enterrées.
Note 1: Je ne suis pas juriste, mais il me semble que la désactivation de l’accès à Internet pourrait bien être problématique car moyennement légale (croisez-ça avec les problématiques des handicapés, des télétravailleurs, etc., et ça peut devenir assez drôle je pense).
Note 2: Calamo signale sur son blog que «dormir sur ses deux oreilles» est une exagération dangereuse: la loi n’a certainement pas changé et nous restons pour l’instant dans la situation des dernières années: pas de poursuites à grande échelle comme aux États-Unis, mais un certain nombre de procès «pour l’exemple».