Du son, de l’image, des mots librement accessibles, parfois ouverts à la modification voire à l’usage commercial. Les licences libres et de libre diffusion suscitent un mouvement alternatif de diffusion et de partage des œuvres.
Inspirées ou héritées du logiciel libre, un certain nombre de licences sont utilisées par des artistes pour encadrer les conditions de diffusion et d’utilisation de leur travail. Le phénomène touche tous les domaines : musique, littérature, arts plastique, cinéma… On désigne cette tendance par les termes de copyleft ou encore de Culture libre. Afin de passer tout de suite à la pratique, vous pouvez consulter le paragraphe figurant au bas de cette page, vous trouverez la mention d’une licence Creative Commons de libre diffusion. Le point commun de toutes ces licences est la libre diffusion. On peut télécharger, copier, donner et dans certains cas même vendre du son, du texte, de l’image… Mais les choses ne s’arrêtent pas là car certaines de ces licences permettent aussi à autrui de modifier l’œuvre et de diffuser ses propres modifications.Pour bien comprendre ce qui peut pousser un auteur à placer une de ses œuvres sous une telle licence, il faut également mentionner les obligations qui accompagnent ces libertés. D’abord, la diffusion, y compris commerciale doit citer la source, c’est à dire que l’auteur d’une œuvre doit être nommé. Ce principe vaut également pour les modifications, ce n’est pas parce qu’un tiers a modifié une œuvre qu’il peut s’en approprier la complète paternité. Il se doit de toujours citer ceux qui l’ont précédé. Dans les cas où les modifications sont autorisées, la condition est en général que les mêmes règles de partage et de diffusion soient respectées par la suite.A ces deux obligations correspondent les deux principales motivations des artistes utilisant ces licences.
Libre diffusion et publicité
En premier lieu autoriser la diffusion d’une œuvre en obligeant à citer son auteur est un moyen de se faire connaître. Ainsi en musique, où les licences de libre diffusion sont probablement plus répandues qu’ailleurs, nombre de musiciens se considèrent pris entre le marteau et l’enclume. Même distribués par une maison de disque, ils gagnent très peu, voire rien du tout sur la vente de leur disque sauf à compter parmi la poignée de très gros vendeurs. Du coup, le disque n’est pour eux qu’un moyen de se faire connaître.Par ailleurs, les groupes qui n’ont signé nulle part mais qui sont sociétaires de la SACEM connaissent un problème encore plus important. Nombre de radios sont directement liées à de grandes maisons de disques et les chances d’y être programmé correspondent plus au plan marketing des éditeurs qu’à des critères artistiques, la voie institutionnelle de diffusion est donc particulièrement difficile d’accès. La SACEM ne rémunère qu’une fraction de ses sociétaires, mais interdit toute diffusion gracieuse des enregistrements, y compris par les musiciens eux-mêmes. Du coup, difficile d’être effectivement écouté quand d’un côté l’accès à la diffusion radiophonique est bouché et que de l’autre, toute auto-diffusion est taxée pour pour rémunérer des artistes plus connus.
Pendant longtemps, ne pas rentrer à la SACEM était la garantie de ne jamais être diffusé et la certitude de faire une croix sur une éventuelle carrière. Mais l’avènement d’Internet a offert un média de diffusion inédit. Certains musiciens, considérant que l’accès aux médias conventionnels est très difficile et que sauf énorme succès ils ne toucheront jamais rien sur leurs disques, ont décidé de ne plus perdre sur les deux tableaux. Si, quel que soit l’angle d’approche, l’horizon demeure bouché, autant être écouté par le plus grand nombre au lieu de voir sa démo dormir dans le tiroir d’un producteur ultra sollicité et bordé par un plan marketing. Les licences de libre diffusion répondent à ce besoin.Des sites comme dogmazic.net, boxson.net ou le plus controversé jamendo.com hébergent de très nombreux morceaux librement téléchargeables mis à disposition sous une licence de libre diffusion par leurs auteurs. Ainsi un groupe aura plus de chance de voir du monde à ses concerts et pourquoi pas aussi lui acheter un CD en vente directe. En bref, il fera effectivement de la musique plutôt que de s’épuiser à essayer de devenir musicien. Qui a dit que le téléchargement tuait la musique ?
La démarche est assez proche dans l’édition et la littérature. Très peu d’auteurs, y compris ceux qui sont publiés, ont l’occasion de vivre de leur plume. Beaucoup ne passent jamais le cap de l’édition, ou alors à leurs propres frais. Là encore, la technologie numérique et notamment l’existence de services d’impression à la demande comme le très commercial lulu.com permet de proposer à la vente un livre papier en petit tirage. En France, inlibroveritas.net dont le mot d’ordre est « Littérature Equitable » se distingue par l’intégration impérative d’une licence de libre diffusion dans la démarche de l’auteur. Toutes les œuvres sont lisibles en ligne. In Libro Veritas propose plus qu’une boutique virtuelle mais plutôt la possibilité pour le visiteur de composer son livre avec les textes de son choix. Au-delà du service d’impression, une communauté, s’est mise en place et In Libro Veritas édite de façon tout à fait conventionnelle certains de ses auteurs.
En cinéma, la démarche est encore peu répandue car les budgets nécessaires sont nettement plus lourds, on trouve malgré tout un film d’animation Elephant Dream construit avec le logiciel libre Blender. Ses créateurs récidivent actuellement avec Peach et financent leur film par la souscription, en prévendant les DVD des films. En France Ralamax Production propose ses films sur internet et vise la rémunération par la pub. Pour ses créateurs télécharger ou regarder un film sur Internet est un geste naturel et banal et encore une fois la meilleure façon d’être effectivement vu.
Il est a noter que nombre d’artistes préfèrerait un modèle qui leur permette de toucher des revenus grâce à leur travail et qu’ils choisissent une licence de libre diffusion pour contrer un modèle qui les condamne au silence.
Usage commercial (ou pas)
L’autorisation d’une utilisation commerciale par un tiers, quasi systématique en informatique, est rarement retenue dans le domaine des arts mais correspond en général à la même logique de diffusion la plus large possible. Le profit qu’un tiers peut tirer de son travail personnel est alors considéré comme un moteur supplémentaire pour se faire connaître. Il n’est pas aisé de se dire que l’on abandonne le droit à faire fructifier son travail à n’importe qui, mais ceux qui font ce choix inversent généralement la problématique en se demandant si ne pas le faire leur permettrait de gagner de l’argent.
Les licences libres et de libre diffusion constituent donc un cadre juridique adapté à la diffusion numérique. Ce canal permet de déborder les canaux traditionnels de diffusion qui ne sont désormais ni accessible ni même rémunérateurs pour le commun des mortels.
Une certaine méfiance existe dans le domaine des arts, il faut noter deux différences fondamentales avec celui du logiciel. D’abord l’art n’est pas un objet fonctionnel comme un logiciel qui nécessite une maintenance continue et s’adapte bien à l’accumulation du travail.
Ensuite, le monde du logiciel libre a su mettre en place et maintenir ses propres canaux de diffusion et s’est immédiatement constitué comme un mouvement alternatif à une situation de quasi-monopole et dans un univers nouveau qu’est celui de l’informatique. En revanche, les canaux de diffusions conventionnels de type édition, télé, radio, vente de supports d’enregistrements est très institutionnalisé et sous contrôle. Du coup le spectre d’un sale coup où un artiste connu ou une structure commerciale, exploite à son plus grand profit le travail d’un humble artiste continue d’inquiéter. Certains se souviennent peut-être du dépit ressentit par certains artistes de la Mowtown en voyant Elvis Presley cartonner, sans partager le crédit, avec la musique qu’ils avaient eux-même composé quelques années auparavant.
Les vertus du partage
La publicité n’est pourtant pas l’unique motivation du libre partage des œuvres. L’envie de partager est réelle chez un grand nombre d’artistes. Il s’agit donc certes de se faire connaître, mais avant tout pour faire vivre son art. Certains artistes poussent la logique du partage encore plus loin en autorisant la modification de leur œuvre.
Cette pratique de la modification correspond généralement au sentiment qu’aucun créateur n’est jamais détaché de son contexte, chacun se nourrit du travail d’autrui. Du coup un artiste en autorisant la modification, rend symboliquement quelque chose au monde. Voire son travail repris et modifié est également vécu par ceux qui accepte le principe de modification comme une reconnaissance. Chez Dogmazic, on considère par exemple que la musique est une forme de savoir universel qui a pour vocation première de circuler. Même si elle peut donner lieu à un échange financier, elle est bien plus qu’une marchandise.
L’œuvre, susceptible d’être modifiée, acquerra une certaine autonomie. Ses éventuelles évolutions, reprises et modifications dessineront la vie autonome d’une œuvre qui n’a pas vocation à être figée ou dépendante de son auteur original.
Cette pratique n’est pas neuve. En musique tout particulièrement, la reprise de morceaux mais aussi la pratique parfois problématique du sample et du remix donnent encore une fois du relief à la question de la modification. Les licences libres viennent donc clarifier et reconnaître des pratiques préexistantes.
De même, les auteurs du film Varsovie Express, premier long métrage de Ralamax, ont l’intention de rendre accessibles les rushs de leur film à quiconque voudra les remonter, les réutiliser et affirment être curieux de voir le résultat. Denis Nerincx, auteur d’In Libro Veritas, a pour sa part été très touché de voir l’un de ses textes choisit par un jeune illustrateur pour exercer ses talents. La musique libre permet également de nourrir le cinéma ou encore les logiciels, notamment de jeu. Dans tous ces cas, le sentiment d’accomplissement créatif réside alors plus dans le plaisir de voir une œuvre reconnue, vivante, évolutive que dans le statut d’auteur ou la reconnaissance financière.
La condition le plus souvent associée à l’autorisation de modification, outre celle de citer l’auteur original, est généralement l’obligation de placer le travail dérivé sous une licence identique. On retrouve là le mécanisme qui fait la force du logiciel libre. Celui qui offre son travail à la modification s’assure que ceux qui pourront en bénéficier feront exactement la même chose, alimentant un cycle cumulatif.
Au delà de la licence, le modèle du libre se retrouve parfois dans les méthodes de travail, le cinéma ou la musique sont tout particulièrement des œuvres collectives, le fruit d’une osmose entre plusieurs créateurs. Les méthodes et les outils de travail collaboratif inventés par le logiciel libre donnent lieu à pratiques artistiques. Varsovie Express fonctionne ainsi sur le mode collaboratif tant pour la création que pour effectuer des choix. Côté musique, les « orgies » de Monculprod voient différents musiciens et paroliers se réunir par Internet pour construire un morceau petit à petit, chacun apportant un élément : texte, rythme, riff, ligne de basse, voix, cuivres…
Quelle qualité ?
L’autorisation de modification et la création collective encore plus que la libre diffusion contribuent à nourrir une culture vivante, généreuse et en perpétuel bouillonnement. Ce foisonnement est parfois dénigré. Il est considéré par certains comme une immonde soupe où domine la médiocrité, ce qui se distribue gratuitement serait nécessairement sans valeur.
La démarche d’ILV ou de Dogmazic est effectivement de laisser ouvert à tous. Monculprod dans son morceau-manifeste, Beuarhland, explique le principe. Nul élitisme, la démarche n’est pas de faire n’importe quoi mais d’y mettre de la conviction. Ce qui compte n’est pas tant la performance que l’honnêteté de la démarche.
Du coup on trouve de tout : une certaine dose de cabotinage certes, du manque de talent aussi, mais également du très bon et beaucoup de surprises car le formatage n’est pas de mise. La liberté de circulation se conjugue avec la liberté de création. D’autres projets sont en revanche plus sélectifs et ne proposent que ce qu’ils considèrent de meilleur. In Libro Veritas occupe une position intermédiaire, chacun peut déposer un texte sans avoir à subir de sélection et n’importe quel texte peut-être compilé dans un livre. En revanche In Libro Veritas effectue également un véritable travail d’édition sur un choix subjectifs de texte. Son créateur, Mathieu Pasquini a également édité un recueil de jeunes auteurs dénichés par un lecteur passionné, jugeant que ceux-là méritaient d’être lus. Un nouveau recueil des « jeunes pousses » d’ILV vient tout juste d’être diffusé. La vie de la communauté est dès lors le pendant humain qui fait vivre la création.
Une sélection, une politique éditoriale existe donc bel et bien mais a posteriori et sans limiter le droit à l’expression et à la diffusion de quiconque. Le droit à la médiocrité est paradoxalement un moyen pour laisser le meilleur s’exprimer. A l’auditeur/spectateur/lecteur d’être curieux, critique, attentif… Il dépasse alors largement le rôle du simple consommateur de « produits culturels » ou de divertissement dans lequel certains acteurs commerciaux de la branche aimeraient le faire rentrer.
Cet article est sous licence CC by-nc-nd a initialement été édité sur onirik.net
Pour en savoir plus sur la culture libre et le Copyleft :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Culture_libre
http://fr.wikipedia.org/wiki/Copyleft
Archive de mon émission de radio, dont une sur les différentes licences :
http://archive.symbiose.free.fr/
Le tableau résumé des licences :
http://www.dogmazic.net/static.php?op=tableau_licences.php
Lien vers les sites cités dans l’article (il y en a d’autres) :
http://inlibroveritas.net/
http://dogmazic.net
http://jamendo.com
http://boxson.net
http://www.ralamax.net
http://www.monculprod.org/
http://quitterlasacem.info