introduction – les préjugés du sceptique
Le monde de la musique diffusée sous licences de libre diffusion (ou : licences ouvertes ou encore « copyleft ») s’enrichit chaque jour de nouvelles œuvres, et, même s’il est difficile d’évaluer la part des enregistrements présentés sous cette licence dans le monde de la musique en général, il n’y a aucun doute sur le fait que le nombre d’artistes qui choisissent ce mode de circulation de leurs travaux s’accroît de manière exponentielle.
Néanmoins un certain nombre de préjugés persistent quant à la nature et l’intérêt de ces œuvres. Certains continuent de parler du monde des musiques « copyleft » comme d’une « utopie ». D’autres laissent à penser que ces productions seraient qualitativement moins réussies que celles inscrites au répertoire de la Sacem par exemple. Les mêmes tendent à considérer les artistes « copyleft » comme des amateurs dilettantes, qui ne pratiquent pas leur art aussi sérieusement que les professionnels.
Ces trois préjugés peuvent être aisément dénoncés comme tels, si tant est qu’on prend la peine d’écouter un peu les musiques en question. Le but de cet article est justement d’inviter les sceptiques à découvrir, à l’occasion de la sortie simultanée de plusieurs compilations, quelques enregistrements qui contredisent manifestement les trois objections de nos détracteurs.
J’ai choisi cinq compilations et un site de diffusion à titre d’exemples – il y en a sûrement eu d’autres depuis le début de l’année, et je vous invite à compléter l’article dans les commentaires.
Cent pierres précieuses pour Camomille
On débute avec un événement réjouissant dans notre vaste monde, puisque le netlabel canadien Camomille fête la sortie de son centième opus ! Vincent Fugère explore depuis 2002, ce qui fait de Camomille un des plus anciens labels sous licence libre, les mondes de l’electronica, des univers les plus apaisés et délicats jusqu’aux pépites plus aventureuses. Un fleuron de la musique copyleft dont vous aurez un large aperçu grâce à cette compilation réunissant les artistes suivants : Lackluster, Twerk, Henrik Jose / Bliss, Julien Neto, Khonnor, Ilkae, Talve, Anders Ilar, Hunz, Jemapur, Proswell, Vim, Epoq,ST, Pocka, Troupe, Makunouchi Bento, Tang Kai / Mikael Fyrek, Blisaed / Seathasky, Sense, Transient, Fah, Planet Boelex feat. Lisa’s Antenna, Emanuele Errante, Kaneel, Shiftless, The Open Directory Project, Nil, Hofuku Sochi, Kyle Dawkins, Ks, Slash, Muhr, Papercutz, Imtech, Beatslaughter, The Kodama Institute, Mattia Marchi et MigloJE.
Que du beau monde donc, des nouveaux mais aussi comme le dit mon copain bituur des « piliers anciens' », sans parler des pochettes à imprimer dont on nous gratifie à l’occasion de cette sortie.
Le tout est disponible ici, sous licence CC of course :
http://camomille.genshimedia.com/index.htm
Anti-Social ou « les invertis »
Le label Anti-Social, fort d’une dizaine de productions toujours iconoclastes (on se souvient de leur remarquable, terrifiante et hilarante compilation de remixes de discours de Serge Dassault), publie un recueil intitulé L’atelier d’Héphaïstos, franchement expérimental, dérangeant et délicieusement subversif : en effet, la consigne passée aux artistes les contraignait à inclure dans leurs délires exploratoires un message « à l’envers ». je ne résiste pas aux plaisirs de citer le track-listing et les messages subliminaux subtilement disséminés dans le disque.
01-GAzTRIC_There-are-sandwiches-and-sandwiches
Ce morceau contient un message pour aider à faire des sandwichs ( english version )
02 Lain-spectres_du_passé
Ce morceau contient une critique de la religion
03-JKP -vegreenoittems
Ce morceau contient une injonction « Mets toi en grève »
04-Levraibernardo – Comptine des enfants pas sages
Comme son l’indique…
05-D’incise – Sur l’herbette en territoires
Ce morceau contient une double lecture fragmentée d’un article de journal sur la Palestine
06-Matohawk – un orage provencal
Ce morceau contient un bulletin météo de la bretagne
07-[k] – 4.8.15.16.23.42
Ce morceau contient le numéro de carte bleu de l’auteur
Compilation L’atelier d’Héphaïstos diffusées sous licence CC nc nd 3.0. et téléchargeable ici :
http://www.antisocial.be/
Les terres en friches d’Insubordinations
Avec le label suisse Insubordinations, qui est sans doute une de mes maisons préférées en musique pas comme les autres, on sort de l’électro proprement dite, mais on demeure dans l’exploration sonore la plus barrée, avec mult artistes improvisateurs, navigant à leurs risques et périls, au gré de trouvailles inouïes, dans le secteurs du free jazz, de l’électro-accoustique, de la poésie proclamée, et d’autres mondes encore qui n ‘ont pas de nom. Le mix Monographic (volume 6) permet de se faire une idée de ces territoires non subordonnés (et d’écouter des gens aussi géniaux que d’Incise, Adrian Juarez ou Plaistow). Voici la track list :
1 [insubcdr02b] Plaistow – Mairie Des Lilas
2 [insub21] Apeiron – night in Krakow (excerpt)
3 [insub15] Rosa Luxemburg new Quintet – Volumes
4 [insub05] Jacques Demierre – black/white memories (excerpt)
5 [insub13] Mathias Delplanque – SOL (excerpt)
6 [insub17] Adrián Juárez – sandias correntinas (excerpt)
7 [insub11] Martine Altenburger & Lê Quan Ninh – Love Stream (excerpt)
8 [insub23] KARST – ft. Abstral Compost
Mix téléchargeable sur le site du magazine INQ-MAG :
http://www.inq-mag.com/2007/12/30/monographic-006-insubordinations/
De nombreux enregistrements sont disponibles au format mp3 sur le site du netlabel :
http://www.dincise.net/insubordinations/home.html
Les douceurs sauvages d’another record
Le label Another Record (pour lequel j’ai forcément une certaine sympathie) oeuvre depuis 2001 dans le rayon folk, indie pop et post-rock, avec des incursions du côté de l’expérimental et de le musique « outsider » : le troisième volume (déjà !) de leur compilation annuelle, Sweets for the Wild, vient de sortir pour le nouvel an, et contient deux disques, qui s’avère tout à fait dans la lignée des musiques défendues par le label. On y trouvera mult artistes européens et américains, avec de vieilles connaissances (Nos amis toulousains de Recife, et le meilleur bassiste du monde, Laurent Paradot, ci-devant moitié de Gatechien, meilleur duo basse-batterie du monde, qui tente ici de faire concurrence à son copain Luis Francesco Arena), et aussi des tas de gens que je ne connaissais pas, comme Jack Lewis, le frère de Jeffrey Lewis (si!) qui nous gratifie d’un marrrant The day that Neil Young died, ou les prometteurs Via Dubai (qui n’hésitent pas à ponctuer leur single post-rock d’arrangements « grand orchestre somptueux » de toute beauté).
Voici donc la track list :
Volume 1 –
1. RROSE TACET – I drop all the chorus (4.18 / 5.91 Mo)
2. POLDER – Feeler (3.50 / 5.28 Mo)
3. VIA DUBAI – Time (3.47 / 5.20 Mo)
4. THIS IS BLUE – Montreal (4.04 / 5.59 Mo)
5. MOONPALACE – Your words (4.21 / 5.99 Mo)
6. DOLORES – Obscene (4.08 / 5.58 Mo)
7. YOUR SPOKEN HOROSCOPE – My name is Joseph (4.42 / 6.55 Mo)
8. THE HEALTHY BOY – There are things (3.15 / 4.48 Mo)
9. JACK LEWIS – The day that Neil Young died (3.09 / 4.34 Mo)
10. YEEPEE – The worst concert ever (2.43 / 3.73 Mo)
11. PHOEBE – To be of use (3.23 / 4.66 Mo)
Volume 2 –
1. DAY IN DAY OUT – I want faithfulness (7.15 / 9.95 Mo)
2. DRIFT EASE LINE – Mint green (3.40 / 5.04 Mo)
3. BLUE HAIRED GIRL – Uterus (3.33 / 4.87 Mo)
4. LAURENT PARADOT – Silence (3.24 / 4.67 Mo)
5. KRAKEN OXEN – Residents illuminating peace (4.29 / 6.16 Mo)
6. DREW DANBURRY – Red rock virgin’s encounter with winter nights (3.15 / 4.46 Mo)
7. ROKEN IS DODELIJK – In these places (2.01 / 2.79 Mo)
8. CHRIS MAHER – Exposing bone (3.29 / 4.78 Mo)
9. RECIFE – L’univers (5.16 / 7.24 Mo)
10. UP TO THE GROUND – One and a half (3.47 / 5.20 Mo)
11. 21 LOVE HOTEL – Bella ciao (cover) (4.12 / 5.78 Mo)
Toutes ces beautés sont disponibles sur le site du label au format zip, mp3, ogg, et diffusées sous licence CC nd nc 3.0.
http://www.another-record.com/fr/?page_id=89
La famille bricolo de Colllective family
On demeure dans le rayon indie, avec un collectif nommé Collective Family, que j’ai découvert récemment, une famille composée principalement de musiciens américains, évoluant dans les sphères des musiques modestes mais parfois géniales de la lo-fi, de l’electronica ou du folk allumé. On y retrouve des gens aussi délicieux que Tiny Folk, les Lonesome Architects ou Dustin and the furnitures. À l’heure où je vous cause on peut télécharger 118 albums sur le site. Alors je vous fais grâce de la liste. Je ne résiste toutefois pas au plaisir de vous copier la déclaration d’intention de la famille :
« The Collective Family is a group of artists who give their music away!
We got together and decided we’d rather share our music so that more people could enjoy it. After all, isn’t the most noble goal of mankind to make neat music and then put it online for free? Well, we think it is, anyway.
Sure, there are plenty of sites where you can download free music. But the collective is based around a community, and communities are awesome. Plus, we think this is the coolest place around to download indie music. »
Ces brillants bricoleurs offrent leurs œuvres sous licence CC NC ND au format .bitorrent sur le site :
http://001collective.com/
Enfin, on rebranchera les guitares et on appuiera comme des malades sur les pédales de disto pour la compilation PUNK-POST-PUNK (dire PPP), parce qu’il y a encore des jeunes et des moins jeunes qui font du punk, du vrai, et ça fait un bien fou de le savoir. Parfce que bon, y’a des moments où il vaut mieux hurler quand même, passer outre les sophistications civilisées, et envoyer la sauce.
01 PPPzine Intro (la leçon de Gérard)
02 Louis Lingg & The Bombs : Chomsky Saved My Life
03 Johnny Boy : Rock’n’Roll Sux
04 Hot Dog Addict : Martini Girl
05 This Is Pop : X-Berg
06 Charles De Goal : Terrorist Bad Heart
07 IKU : Putrefaction
08 GLU : Parasite (version démo)
09 GOMM : Into Perfection (version démo)
10 Pogomarto : Génération Tchernobyl
11 JeanBleu : Jean Wai
12 FuturS Ex : Rendez-vous des fous
13 €uroshima : €uroshima (mon amour)
14 Otaké : C.T.E.
15 Monkey Test : Egocentré
16 [P.U.T] : Please (live 18 Marches)
17 PPPzine : Outro (et vous ?)
Compilation téléchargeable sur le site du blog « Génération extrême », sous licence CC BY NC 3.0. :
http://generation-extreme.com/PPP/compil.html
Conclusion (réponses aux objections du sceptique)
La musique copyleft, une utopie ? Certainement pas. Cela fait des années que des artistes se produisent de la sorte, et ils ne s’en portent pas plus mal manifestement. Ils ne se sentent pas en tous cas irréels, ou en attente de réalité, si on veut bien entendre dans le mot « utopie », un monde meilleur qui risque bien de ne jamais advenir. Le monde des musiques sous licence libre est bel et bien advenu ces dix dernières années, et le qualifier d’utopie, c’est nier l’existence de milliers d’artistes et de millions de mélomanes. Ce qui est tout de même limite intellectuellement.
La musique copyleft, moins intéressante musicalement que les productions traditionnelles ? Il existe évidemment dans les productions copyleft des choses tout à fait sans intérêt. Pour le reste, je vous laisse vous faire votre propre opinion en comparant n’importe quel morceau des compilations précitées avec par exemple les singles enregistrées par les nouvelles stars des académies télévisuelles à la mode. Mais savez-vous par exemple que ce disque là a été reconnu parmi les meilleurs disques de l’année par quelques médias futés et néanmoins populaires (je parle du disque d’Angil, Oulipo Saliva, œuvre ambitieuse et jouissive s’il en est), voir :
http://www.pragmazic.net/Angil_Oulipo_Saliva
Quant au manque de sérieux et à l’amateurisme, c’est bien mal connaître le quotidien de bien des musiciens en ce bas monde, et oublier que les frontières entre professionnels et amateurs s’avèrent pour le moins poreuses (et il en ainsi depuis au moins l’invention du rock’n roll et de la pop, ce qui doit faire plus de 50 ans : songez à tous ces artistes des années 60 qui, bien que n’ayant jamais rien gagné (pécunièrement) de leur art, n’en sont pas moins considérés de nos jours comme des monuments historiques). Rappelons aussi qu’il existe des musiciens exigeants qui se préoccupent moins d’avoir du succès que d’explorer avec ténacité les voies et les territoires qui s’offrent à leur sensibilité singulière (et que sans eux, il n’y aurait jamais rien de neuf sous le soleil). Les soi-disant experts de la culture, qui fourbissent de délirants projets de lois pour domestiquer et limiter l’expression des artistes qu’ils disent « amateurs« , plutôt que de soupçonner une absence de sérieux chez les artistes copyleft, devraient commencer par s’intéresser sérieusement à ces musiques.