Par Mickaël Mottet (Angil), le 8 février 2009.
Je ne suis pas obligé ! Beaucoup d’amis s’étonnent quand je leur dis que je ne suis pas à la Sacem : “mais alors, tu es dans l’illégalité ?”… Merci à Froggy’s Delight de me donner l’occasion de dire ici que la réponse est non. Ce témoignage n’est pas une attaque en règle contre la Sacem, ni une démonstration en faveur de la musique libre. Je veux juste partager mon expérience, en toute subjectivité !
L’inscription à la Sacem n’est pas obligatoire. La Sacem est un syndicat privé. Certes chargé d’une mission de service public, mais légalement, rien n’oblige un auteur à s’y inscrire. On peut sortir un disque, jouer ses morceaux en concert ou se défendre légalement sans être sociétaire à la Sacem.
De fait, la Sacem a un monopole sur la musique en France. Mais il existe des alternatives. L’idée (fausse) du caractère obligatoire de l’inscription est pourtant assez répandue, et la Sacem ne communique pas très activement pour la réfuter… Au contraire : un petit tour sur son site officiel a de quoi tromper son monde. “Vous voulez réaliser un CD, un vinyle, une cassette ? Pour obtenir l’autorisation de reproduction de la SDRM et remplir en ligne la demande d’autorisation, vous devez vous inscrire.”
La SDRM, organisme incontournable ? Non, société créée à l’initiative de la Sacem. Si vous ne souhaitez pas sortir ou jouer vos œuvres sous copyright, vous pouvez (sans être dans l’illégalité) faire presser, diffuser, reproduire “un CD, un vinyle, une cassette” tant que vous voulez, en restant en dehors du circuit Sacem/SDRM.
Il faut lire entre les lignes sur le site de la SDRM pour le comprendre. “La plupart des auteurs d’œuvres de l’esprit ont confié à une société de gestion collective le soin de délivrer en leur nom les autorisations pour la représentation et la reproduction de leurs œuvres.” Et les autres, ceux qui ne confient ce soin à aucun organisme affilié à la Sacem ? Ils sont dans un no man’s land juridique. Par exemple, l’option que j’ai choisie pour protéger mon travail, la licence Creative Commons, profite en France d’une sorte de flou légal pour exister. C’est un peu dingue, quand on sait que la Sacem n’est pas censée être le seul choix possible. Pas habilitée à l’être.
Le fondement de la Sacem
L’histoire, racontée brièvement sur son site, est la suivante : “La SACEM est née à la suite d’un incident survenu au café-concert Les Ambassadeurs en mars 1847. Trois compositeurs et auteurs connus refusèrent de payer leurs consommations, estimant qu’ils ne devaient rien puisque le propriétaire de l’établissement utilisait leurs œuvres sans les rétribuer en retour. Les trois musiciens gagnèrent un procès, qui provoqua, en 1850, la naissance d’un syndicat des auteurs.” (Wikipédia)
Voici donc le nœud du problème. Si vous choisissez d’être sociétaire, c’est parce que vous êtes d’accord avec l’idée que toute diffusion de votre musique est payante. Mon choix de ne pas l’être découle de mon désaccord avec cette affirmation : si un lieu de diffusion (bar, salle de concerts) ou un média décide de diffuser mes chansons, je ne vois pas en quoi ce lieu, ce média me devrait de l’argent.
Ma position est loin d’être la plus répandue. Je ne cherche pas à vivre de ma musique ; ça facilite ma radicalité sur ce point. Parmi mes amis musiciens, certains sont professionnalisants. On a de longs débats sur la Sacem ; leurs arguments sont souvent : “mais pourtant tu acceptes d’être payé pour un concert !” ; “le jour où la Sacem me propose 1000 €, je ne vais pas les refuser !” et “les médias ont forcément un intérêt commercial à diffuser ta musique, c’est légitime de demander ta part !”…
“Tu acceptes bien d’être payé pour un concert !” Être payé pour une performance ponctuelle, je trouve ça normal. Faire un concert prend du temps, de l’énergie, et bien souvent autant d’argent que ça en rapporte. Alors que la diffusion de ma musique ne me coûte rien. Le temps, l’énergie et l’argent investis dans la ‘fabrication’ d’une chanson sont rétribués par l’achat de l’album par les gens qui continuent à le faire, car ils savent qu’avec un petit label, c’est un acte militant. C’est un peu dérisoire d’écrire ça en période de crise du disque mais je parle de la situation idéale.
“La Sacem me tend de l’argent, je ne crache pas dessus !” Logique (si accepte la notion de diffusion payante). La rétribution des artistes est son but ; et avec 600 millions d’euros annuels de redevance, elle peut les rétribuer ! Attention, si vous êtes un petit artiste indé, mieux vaut être attentif à la moindre diffusion et la déclarer à la Sacem : un oubli est facilement arrivé (bien qu’elle compte 1400 employés – dont les salaires représentent 2 tiers des charges, soit dit en passant).
Malheureusement, les choses ne sont pas si simples : avant de recevoir de l’argent, il faut payer… Je ne parle pas de l’inscription, assez peu onéreuse. Mais sortir un disque sous copyright, par exemple, implique des paiements exorbitants à la SDRM. Une partie est censée être remboursée ultérieurement ; mais en ce qui me concerne, je ne pourrais pas avancer des sommes pareilles ! En somme, je n’ai pas les moyens d’être à la Sacem !
Dans le même ordre d’idée : si un magazine national vous fait l’honneur d’une sélection sur une de ses compilations, il vous réclame les droits Sacem. C’est très cher. Quand ça m’est arrivé (en l’occurrence pour des compils des Inrockuptibles), je n’ai rien eu à payer, n’étant pas sociétaire Sacem… sinon, je n’aurais pas pu accepter, tout simplement.
“La diffusion peut cacher un intérêt commercial, prends ta part !” Étant du milieu indépendant, je ne crois pas à cet argument. Ce sont certes des popsongs, que j’espère faire entendre à, disons, beaucoup de gens (le ‘plus grand nombre’ ne m’intéressant pas forcément). Mais je ne les compose, les imagine, ni ne les ‘calibre’ en fonction de leur éventuelle diffusion.
Si telle radio, tel blog ou tel autre média choisit de les mettre en avant, quitte à ce qu’il ait en tête des intérêts commerciaux (et avec mes chansons, je lui souhaite bonne chance !), son but ne me regarde pas. Je le remercie de les diffuser, et je continue ma démarche de mon côté.
Les failles du système Sacem Invité il y a quelques mois sur France Culture, j’ai joué quelques morceaux. À la fin de l’émission, un assistant m’a tendu la feuille rose de la Sacem à remplir. “Je ne suis pas sociétaire, lui ai-je dit, vous n’avez rien à payer et je n’ai rien à déclarer.” Décontenancé, l’assistant m’a répondu : “qu’est-ce que je dis à la Sacem, moi ? Qu’on a passé un quart d’heure de silence ?”
Même configuration lorsqu’une émission de M6 a utilisé une de mes chansons en fond musical pour un sujet. Le producteur de l’émission, que j’ai contacté pour lui signaler qu’il n’avait rien à régler à la Sacem, est tombé des nues.
Aux yeux de la Sacem, ce qui n’est pas consigné chez elle n’existe pas. C’est du silence.
Ce n’est pas tout : que je le veuille ou non, une somme d’argent a bel et bien été envoyée par France Culture et M6 à la Sacem. Culture et M6, comme toutes les radios, télévisions et nombre de lieux de diffusions, se sont “arrangés” avec la Sacem pour lui envoyer un forfait mensuel. Je suis donc compris dans ce forfait, pas le choix. Quand celui-ci arrive à la Sacem, et que sa base de données constate qu’il n’existe aucune entrée correspondante à Mickaël Mottet , une partie de l’argent est mise de côté, en attendant d’être réclamée.
Je ne sais pas ce que ces sommes deviennent. J’avais entendu dire qu’elles étaient, au bout d’un certain temps, réparties aux artistes (après un calcul vraisemblablement basé sur le nombre de ventes). Cela signifierait (c’est à vérifier) qu’en restant en dehors du système, je beurre les épinards de Jean-Jacques Goldman.
La Sacem a également une mainmise sur bon nombre de dispositifs censés aider tout artiste qui en fait la demande. Le Fair (qui oublie de le préciser sur son site), l’Adami, certaines sélections régionales pour des festivals, j’en passe : tous ces organismes apparemment indépendants ferment automatiquement leurs portes aux artistes non-inscrits à la Sacem. J’en parle parce que ça m’est arrivé.
En quelque sorte, le contenu de mon ‘travail’ n’a pas d’importance ; je suis puni parce que je ne joue pas le jeu de la professionnalisation.
Pour en savoir plus, rendez vous le 12 février 2009 aux Assises “Liberté, création et Internet”, organisées par Libre Accès le 12 février.
Mickaël Mottet
Source : Froggy’s Delight